Selon le 6e baromètre d’Unicef France et de la Fédération des acteurs de la solidarité(1), plus de 2 000 enfants étaient encore à la rue à la rentrée de septembre 2024, dont près de 500 avaient moins de 3 ans.
Cette réalité nous accable par la violence de ce qu’elle représente, en plein cœur d’une démocratie qui se dit solidaire des plus vulnérables d’entre nous. Elle nous révolte par ce qu’elle donne à voir de l’état de la protection de l’enfance. Acteurs associatifs de tous horizons, nous sommes les maillons d’une chaîne qui, d’année en année, ne cesse de se gripper. La protection de l’enfance connaît une crise sans précédent, et nous n’avons plus les moyens de lutter pour que les enfants soient durablement mis en sécurité.
Le nombre d’enfants devant être protégés augmente, inexorablement : ce qu’on appelle pudiquement des « mesures de protection de l’enfance » a franchi le niveau de 381 000, début 2023(2). En comptant tous les enfants qui, malgré les maltraitances ou les négligences qu’ils subissent, échappent à l’attention des services sociaux des départements et des services judiciaires, ce sont au moins 400 000 enfants qui, aujourd’hui, devraient recevoir la réponse aux besoins fondamentaux que leur famille n’a pas su, ou pu, leur apporter.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Le service public de la justice est saturé, malgré l’investissement des juges des enfants, qui suivent en moyenne entre 350 et 400 « dossiers ». Face au manque de place pour accueillir les enfants en danger, et face au manque de moyens humains et financiers des services, des milliers d’enfants attendent des mois que la décision de justice prise pour les protéger soit appliquée.
Les travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, techniciens de l’intervention sociale et familiales, moniteurs éducateurs, et tous les autres, ne sont pas assez nombreux et s’épuisent au travail. Leur engagement pour donner aux enfants les mêmes chances qu’aux autres, porteur de sens, ne suffit plus pour recruter : les conditions de travail sont régulièrement dénoncées, et parfois subies au point de devenir maltraitantes. Pour la première fois en 2023, les familles d’accueil ne sont plus le mode majoritaire d’accueil des enfants confiés, car il n’y en a plus suffisamment.
Les associations délégataires de service public, qui exécutent la très grande majorité des mesures de protection de l’enfance ou qui s’investissent dans les actions de prévention, pour le compte des départements, manquent de moyens pour intervenir efficacement auprès des enfants. Elles subissent des décisions budgétaires qui, souvent, conduisent à produire d’importantes inégalités de traitement et des pertes de chance pour les enfants accompagnés, selon où ils sont nés, en particulier en outre-mer, ou s’ils sont étrangers.
Malgré la loi, il n’est pas rare que des jeunes sortants de l’aide sociale à l’enfance se retrouvent sans aucune solution d’accompagnement à l’âge de 18 ans, et glissent dans une spirale d’exclusion.
Ces constats ont conduit à la constitution d’une commission d’enquête parlementaire, dont les travaux ont cessé brutalement au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale. Pour autant, la chronique de l’effondrement de la protection de l’enfance a pu être établie par la vingtaine d’auditions que les députés ont menées, et qui ont fait l’objet d’une synthèse par la CNAPE(3).
C’est sur la base de ces éléments incontestables quant à l’ampleur de la crise, et face à l’absence de réponse publique à la hauteur des enjeux, qu’un collectif s’est créé : « Les 400 000 »(4), écho au nombre d’enfants que nous souhaitons voir protégés dignement. Il rassemble aujourd’hui plus de 60 organisations, fondations et associations unies autour de l’urgence à agir.
Le 25 septembre prochain, ce collectif appelle à une mobilisation nationale, au départ de l’esplanade des Invalides à Paris. Il appelle à mettre fin aux “listes d’attente” : les mesures de protection ordonnées par les juges doivent être mises en œuvre sans délai. Il souhaite que l’Etat réinvestisse le soutien aux familles en difficulté : il est crucial d’intervenir rapidement pour prévenir la maltraitance et éviter les mesures de protection plus radicales. Il appelle à reconnaître et à remédier au déclassement des travailleurs sociaux. Il exige que la loi soit respectée et que les jeunes majeurs sortants de l’aide sociale à l’enfance bénéficient d’un accompagnement.
Nous célébrons cette année les 35 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, que la France a été parmi les premiers Etats à ratifier. Cet engagement nous oblige !
(1) https://www.federationsolidarite.org/wp-content/uploads/2024/08/DP_Barometre-Enfants-a-la-rue-2024_FAS-UNICEF.pdf
(2) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2024-07/DD119.pdf
(3) https://www.cnape.fr/documents/temps-forts-de-la-commission-denquete/
(4) https://www.les400000.org/